Magali Rivière – Tempora

J’ai entendu dire que « Le temps n’existe pas. »

Pourtant, il est ce qui conditionne une grande part de ma vie… Temps figé, temps à courir, pas le temps, temps minuté, trouver le temps, prendre le temps, et surtout, toujours être à l’heure.

Je ne connais qu’un Lieu où le temps n’existe pas, Où il n’y a que le présent… Et ce n’est pas ici.

Morbleu, fichtre, palsambleu ! Qu’est-ce donc que cet objet non identifié, cet objet totalement étranger ? Il semble que ledit objet se nomme communément « arrêt de travail »… Mais, cette chose n’est pas pour moi, non ?… Si je m’arrête, je ne remplis point la marmite… Etrange entrelacs donc que celui qui m’offre un « arrêt de travail »… Pandémie, confinement, trois enfants de moins de 16 ans… Oh, pas de quoi festoyer, certes. Mais juste et exactement de quoi se reposer, se poser.

En cette période, mon temps arrêté sera paradoxalement partagé par tout ce qui m’entoure.

Il va falloir tenir, néanmoins, garder le cap. C’est le choix entre aller mal ou aller bien. La seconde option correspond vraiment mieux au cadeau temporel qui m’est fait.

Pas de tatami, pas de cours, pas d’eau…

Un coin d’herbe à la vue de tout le quartier et un arbre aux timides bourgeons…

Comme souvent, une ombre persiflante se charge de me rappeler l’étendue de mon ignorance corporelle, tout ce que je ne sais pas travailler seule, tout ce que je ne sais pas… Comment vais-je pouvoir faire tout ce que je ne sais pas…

Je regarde l’arbre. Me voici malgré tout en plein air à une heure où d’habitude je suis entre quatre murs…

Changer dedans, regarder autrement. Pour pratiquer, l’heure solaire sera ma seule heure. Et l’arbre sera mon kamiza.

Mais comment vais-je faire seule l’étendue de ce que je ne sais pas ?

Il suffit ! Pour une fois, je vais cesser de m’empêtrer dans l’étendue de ce que je ne sais pas !

Je vais vivre l’étendue de tout ce qui m’apporte la joie, la joie de pratiquer, le sourire, la gratitude et l’énergie. Parce que ça, je sais faire. Je sais ressentir.

Les jours passent.

J’entends au dehors que la situation est anxiogène… Mais en fait, devant mon arbre, sur mon timide gazon, avec mon ken et mon jo, jamais, depuis longtemps, je n’ai été aussi sereine… « Il faut avoir confiance dans les bons kami ». J’ai confiance.

Chaque fois que je pose mes pieds nus sur mon carré d’herbe, s’étendent devant moi tous les possibles de ma joie gestuelle et de l’énergie que j’en intègre. L’énergie n’a pas de frontières, elle circule.

Et les bourgeons de l’arbre peu à peu se déploient. Il y a des merveilles de Nature juste à mes pieds. Il y des merveilles de Nature juste au-dessus de moi. Les fleurs éclosent, les petites capsules sont devenues feuilles d’un vert éclatant. Les oiseaux chantent.

Là où le temps s’est arrêté, sous le soleil du printemps, plus en mouvement que jamais, je suis.

C’est si simple.

« – Jour bleu portant le signe de l’Infini. Jour grenat de sang, portant les marques de la lutte. Jour blanc portant le signe du néant. Dis-moi, petite humaine, qu’as-tu appris en un an ?
– J’ai appris qu’il y a une différence fondamentale entre lutter et se battre.
Qui lutte ne cherche qu’à prolonger un combat perdu d’avance, qui lutte est déjà mort. Qui se bat, en conscience le fait pour vivre. C’est la vie que je choisis d’avoir devant les yeux. »

CONTINUER.