Cécile Fayret – Lettre

Au début :

j’ai vu monter l’angoisse chez les patients les plus fragiles, le déni chez d’autres.

J’ai vu la désertion de certains médecins démunis d’armes de protection à l’appel de la municipalité pour « rentrer en guerre »  contre cet ennemi invisible.

J’ai vu les rendez-vous de soins annulés chez des patients chroniques pour laisser la priorité à l’urgence de la situation.

J’ai vu confinée une famille de 3 générations (2 enfants, 2 parents, une grand-mère et un chien) dans un 3 pièces , plongée dans la misère psychique et matérielle.

J’ai entendu les applaudissements et en même temps les agressions verbales et physiques pour les mêmes soignants.

J’ai vu les personnes âgées isolées , l’une d’elle m’a dit que cette épidémie était plus bénéfique que la guerre car elle emportait les plus âgés et c’était une bonne chose …d’autres m’accaparaient pour me parler … J’ai été pour la plus part la seule visite…

J’ai vu mes cotisations sociales reportées alors que je n’avais rien demandé.

 

Aujourd’hui :

je ne ressens aucun sentiment de gloire ou de fierté.

Je continue mon métier quand d’autres l’ont perdu. Les « gestes  barrières » sont pour moi normaux et quotidiens.

Je regrette de ne plus embrasser et toucher mes patients qu’au travers de gants ou de masques.

J’essaie d’expliquer que porter un masque ne nous protège pas mais protège les autres . Ainsi si tout le monde se soucie des uns et des autres , chacun sera protégé.

 

Demain :

Comment seront nos relations quand on nous rappelle que la proximité et le contact social sont devenus mortifères ?

 

Cécile Fayret