Patricia Shimabukuro – La vague et mon coeur

J’inspire la vague et j’expire mon cœur

D’abord qu’est-ce-que la COVID-19 ? C’est une maladie ; très contagieuse et parfois, mortelle, causée par le SARS-coV-2, un petit virus de la famille des coronavirus, nom qui provient de sa forme de couronne au microscope. Mais disons que cela, ce n’est juste que de la biologie. Si nous allons plus loin nous constaterons qu’elle est génératrice d’une crise économique mondiale, qu’elle est la cause d’une augmentation des divorces et des violences conjugales, que peut-être c’est la réponse de la Terre aux multiples agressions ? Que c’est un appel à repenser le système sanitaire Français, à réorganiser l’économie, etc., etc., etc. Mais tout cela, n’est- ce pas juste une vision superficielle ? Dans la profondeur j’ai été touchée par la COVID-19, touchée par son esprit, j’ose dire par son Kami, qui n’est ni bon, ni mauvais.

Ma mère me raconte que quand j’étais petite je courais après ma sœur, ciseaux en main et bras bien levé ; que parfois j’expulsais mes amis de ma chambre… en les tirant par les cheveux. Bref j’avais de la colère dans mon sang, même si, à côté de ces épisodes j’étais normalement sage comme une image. Et j’avais à cœur l’amélioration des conditions d’existence des gens. Ainsi adulte je suis devenue militante, activiste, altermondialiste, flexitariste et tous les ‘iste’ qui viennent à la suite. Ce n’était pas facile de vivre avec moi, de me côtoyer. C’était également épuisant d’être dans ma peau et de me sentir nager en solitaire, intensément et à contre-courant. C’est pourquoi il y a quelques ans, j’ai endormi cette partie de moi.

Ce, jusqu’à fin 2019, où sans préavis, le coronavirus s’impose dans l’actualité et dans ma vie. Moi, qui habitais en couple, je me retrouve avec quatre personnes à la maison, mon travail de factrice doit s’adapter en raison du virus, mais certaines modifications n’ont cependant aucun rapport avec la pandémie. En Colombie mon beau-frère voit son salaire réduit de 50% et doit licencier 200 travailleurs, mes parents au Brésil s’alignent au (exécrable) président Bolsonaro et les rares entreprises ‘écolo-alternatives’, que j’aime tellement, sont contraintes de faire des efforts héroïques pour survivre. Tout ce bruit causé pour SARS-coV-2 entraîne le réveil de la onna-bugueisha (femme combattante) chez moi. Personne n’a rien à craindre ni pour ces cheveux, ni pour les ciseaux ; heureusement la guerrière s’exprime autrement à mesure que le temps passe.

Quand j’étais petite je m’exprimais avec les mains. Jeune adulte j’étais une « manifestation »  ambulante. Par la suite je suis tombée dans un état d’engourdissement. Sur la COVID-19 j’observe le retour d’une partie essentielle de mon âme : l’utopiste. Ce virus m’a amenée à réouvrir la porte à ma portion utopique et à la placer au coude à coude avec ma portion pragmatique. Les deux sont plongées dans le même chaudron : le sabre, l’ennemi, la montagne … L’éthique, l’esthétique, l’efficacité … La culpabilité et la responsabilité… L’humilité et l’arrogance… La puissance et la persévérance… Les excuses et la foi… Le rôle de l’onna-bugheisha, de la factrice, de l’élève, de la partenaire… Chaque soir je mange cette soupe de pensées et de paroles et le lendemain j’ouvre des actions, avec cohérence, modestement. En sachant que si mon idéal est transcendant, ma vie est faite des petits évènements anodins.

Revenons au terrain. Bientôt on verra la crise économique remplir les pages qui aujourd’hui sont réservées au confinement, au déconfinement, aux vaccins et aux masques. Je la présage comme un tsunami qui s’approche silencieusement. Moi, je suis au sommet du plateau, je n’ai pas eu mes revenus touchés par cette crise et j’ai peu à craindre pour mon travail. Que puis-je faire pour m’accorder aux choses qui me sont chères ? J’ai décidé doubler mon apport à KIVA, une ONG de microcrédit dans des pays en voie de développement, pour que Imran puisse acheter plus d’œufs pour mettre dans son éclosoir, pour que Somaya sache bien choisir ces brebis, pour que Muhabbat paie les frais de l’université, pour leur dire en actions que je pense à eux, que j’admire leur résolution, que je leur souhaite le meilleur. J’ai avancé mes achats sur le www.le-tshirt-propre.fr et sur la www.boutiquenaturellement.com même si c’est plus cher et que j’ai moins d’options mais c’est ce type d’entreprises que je souhaite voir fleurir. Et j’ai renforcé ma consommation dans l’achat bio, équitable et local.

Parlons aussi des relations. Comment équilibrer l’affabilité et la gentillesse avec le conflit et les discordances ? La bienveillance n’est pas synonyme d’indulgence. Également la liberté n’exclue pas les limites. Et certaines larmes sont les germes d’un grand sourire. Mais c’est difficile de savoir quand mettre du sucre et quand ajouter du citron et c’est dur changer la fourrure du pitre pour la fourrure du tyran, de la plaignante, de l’autoritaire. Donc quand je décide de corriger mes collègues au sujet du port des masques, je me sens hors du groupe, et même un peu ridicule. Au débout, je refoule l’envie de faire le sermon, avec la pensée « mêle toi de tes affaires», pour finalement succomber et lancer mes observations dans un moment de colère, la situation me semble assez important pour mettre de côté la petite diplomatie, pour au résultat : une journée de malaise. Le lendemain tout revient à la normalité. La technique est certainement à améliorer. Dans la rubrique des « conversations désagréables sur de questions primordiales » je dois ajouter parler de la politique avec mes parents.

La COVID-19 est une maladie respiratoire, elle atteint les poumons, elle bouleverse le monde. Nous l’affrontons avec de bien meilleures dispositions que nos anciens face à la grippe espagnole (1918) ou à la grippe asiatique (1956), mais je crois que nous avons des connaissances et des moyens pour réagir de manière plus subtile, précise et affinée. Le système dans lequel nous acceptons de vivre limite notre responsabilisation, notre capacité, notre liberté, notre créativité individuelle et notre pouvoir individuel. Cela fait dix ans que j’ai lu le rapport « 21 heures » (New Economics Foundation) et que j’ai vu le court-métrage « L’histoire des Choses », je vous invite à lire le rapport et à regarder le vidéo. Pour abréger à l’extrême, ça parle d’organiser notre connaissance et nos moyens d’une façon plus juste et heureuse, pour tous dans l’espace (aspect géographique) et dans le temps (les générations futures).

Cette maladie est une grande vague qui me rappelle à l’essentiel. Et moi, je suis dans mon petit bateau. Je sais que cette masse d’eau peut m’écraser ou peut m’emporter à la plage. Je la regarde avec précaution et respect, et je rame de la meilleure façon possible selon mes capacités, parce que je veux arriver aux rives et y trouver d’autres barques, d’autres gens qui, comme moi, acceptent la vague, expirent leur cœur et marchent toujours dans la montagne.

https://www.courrierinternational.com/article/2010/03/11/vers-la-semaine-de-21-heures

https://www.dailymotion.com/video/xkg9ds