Benoit Jolly – Covid et confinement : soumission librement consentie ? (1)

Les contempteurs du confinement n’ont pas fini de crier à la « spoliation de liberté » que les défenseurs du « droit de retrait » reprennent le flambeau pour crier à « l’incurie ». Sont-ce les mêmes personnes qui crient les deux fois ?
On voit aujourd’hui la foule des gens qui « veulent penser le monde d’après » venir grossir les rangs du groupe des « prévisionnistes a posteriori ». Et cette foule qui « sait maintenant ce qu’il aurait fallu faire auparavant » veut réinventer notre avenir ?
Qu’il est petit (presque invisible !) le groupe de ceux qui, parmi les velléitaires, s’occupe « activement » de l’aujourd’hui de son entourage ces 5 dernières semaines !

Nous aikidoka travaillons normalement sur l’instant présent. La méditation nous rappelle la nécessité d’y revenir inlassablement pendant que notre cerveau poursuit, en continu, sa production d’images, d’idées, de « bruit », de pensées, de ruminations, de stratégies.
Jules Renard disait « Je ne désire rien du passé. Je ne compte plus sur l’avenir. Le présent me suffit. Je suis un homme heureux, car j’ai renoncé au bonheur. » (2). Cela m’interroge sur notre attitude dans les circonstances actuelles ?

  • Qu’ai-je fait ces 5 dernières semaines (activement) pour améliorer le quotidien de la société où j’évolue ?
  • Que pourrais-je faire de mieux, à mon échelle, la prochaine fois qu’une telle situation se présente ?
  • Quels fruits portent mes « indignations des politiques passées » et mes « réflexions sur le monde d’après » ?

Nicholas Nassim Taleb, en « La Fontaine » moderne, nous a exposé le « Problème de la dinde inductiviste » (3) : Chaque jour de sa vie d’élevage, la dinde voit sa ration de graines augmenter, elle est à l’abri des risques, du froid et de la pluie. Un groupe de dindes « prévisionnistes » contrôle tous les paramètres. Les indicateurs sont au vert ! La nourriture et le bien-être ne font qu’augmenter, le fermier est prévenant…
D’ailleurs, leur dernier bulletin en date nous est parvenu le 23 décembre dernier. Il prévoyait un « avenir riant dans un bonheur croissant »… Depuis… plus de nouvelles !

Est-il sain d’attendre de nos « dindes prévisionnistes » qu’elles sachent prédire l’imminence d’un Noël ? Si elles pouvaient entrevoir tous les événements rares, faudrait-il s’armer contre chacun d’entre eux (ou demander aux dindes du gouvernement de le faire) ?
La courte vie de la dinde doit-elle tourner à ça ?

a – Le groupe des prévisionnistes a posteriori :

Certaines dindes, fortes de cette expérience de Noël, veulent nous vendre leur « Vie d’après » ?
Elles seront mieux à même de « tout » prédire. Vraiment ?
Elles vont nous assurer un volume de graines décent et nous promettre qu’il n’y aura plus de fête religieuse ? Elles vont contrôler la qualité des murs de l’élevage pour protéger tout le monde de l’attaque du chien ? Et après ? Vont-elles faire la révision de la chaudière pour attendre l’hiver ? Vont-elles acheter et stocker des pièces de rechange pour cette chaudière « au cas où » ? Pourquoi pas acheter une fabrique de pièces de chaudière d’ailleurs ?

b – Le groupe des libertaires :

Pendant ce temps, d’autres dindes veulent s’échapper et partir vivre libres dans la forêt… Soit.
Mais quid du renard ? Quand il les attaquera dans la forêt, que feront-elles ?

  • choisiront-elles, plutôt que d’agir, de palabrer d’un monde meilleur ? La moitié sera mangée pendant que l’autre fera le projet d’un monde sans les renards ? (en fondant une société de chasse avec les fermiers et éleveurs ?)
  • ou bien fuiront-elles individuellement en espérant simplement ne pas être « celle qui court le moins vite » ?
  • ou bien, enfin, choisiront-elles de lutter toutes ensemble (activement) avec leurs forces et faiblesses ? Chacune en sachant bien que beaucoup vont y laisser des plumes, voire la vie…

Toutes les tentatives de prévisions, de projections, d’anticipations des dindes n’ont-elles, justement, pas été la cause de leurs mauvaises analyses et de leurs mauvaises décisions du passé ? Cause aussi de leur incapacité à Agir (sans Réagir) ?
Le gouvernement des dindes, ne saurait tout prévoir ! Jamais ! Sa mémoire est importante, elle se constitue des expériences vécues. Mais faut-il que les événements remettent les prévisionnistes aux manettes ?
Ne faudrait-il pas simplement que leur gouvernement soit juste un peu meilleur éthiquement, philosophiquement ? Qu’il soit apte à saisir les opportunités de l’instant et à agir correctement par gros temps, et ce, pour le bien commun ?
Et pourquoi ne parler que du gouvernement. Cette question se pose pour chacune des dindes individuellement non ?
Le grand philosophe Mike TYSON disait « Tout le monde a un plan jusqu’au premier coup de poing » (4). L’origine de ces mots vient des stratèges militaires. Eisenhower posait que : « Les plans sont inutiles, mais la planification est tout. », et il précisait : « La différence est fondamentale parce que lorsque vous vous préparez à une urgence, vous devez partir d’un constat : la définition même du terme « urgence » indique qu’il s’agit d’une situation inattendue, donc qui ne va se dérouler comme prévu. »(5)

Allen SAUNDERS, une dinde un peu plus éclairée que les autres, conclura cette réflexion en disant :
« La vie c’est ce qui arrive quand on est occupés à prévoir autre chose » (6).
C’est la bonne posture à adopter dans nos vies de dindes !

Benoit JOLLY
inspiré par les discussions avec : Christian MONJOU, Frédéric FRERY et Lise R.


(1) La soumission librement consentie, 2010, Robert-Vincent Joule
(2) Journal 1887 1910, 1925, Jules Renard (1864-1910)
(3) Le Cygne noir : la puissance de l’imprévisible, 2010, Nicholas Nassim Taleb, philosophe et mathématicien prolongeant les travaux de Bertrand Russel sur la pertinence de la prévision d’événements rares.
(4) Mike Tyson, boxeur, qui se référait à une citation de Joe LOUIS « Tout le monde à un plan jusqu’à être frappé »
(5) discours à la conférence de la National Defense Executive Reserve à Washington, 14 novembre 1957, Dwight D. Eisenhower (1890-1969)
(6) 1957, Allen SAUNDERS (1899-1986), dessinateur de bandes dessinées, sa citation a été reprise et modifiée ensuite par John LENNON dans sa chanson « Beautiful Boy » (elle lui est généralement attribuée maintenant).