Blandine Cavallini – Texte libre

Je, quand j’étais petite « on » m’a expliqué que ça ne se faisait pas de commencer un texte par Je. Et bien je le fait quand même, bienheureuse que l’On m’en donne l’occasion.

Période de confinement, enfin libre de ne rien faire en toute sérénité! Je vie seule avec mon chien Pome ; Tycha Borderoute (Mimine pour mes voisins) fait son apparition de temps à autre. Je m’octroie deux ballades par jour avec Pome, le tas de petit mots «  je soussignée bla bla bla atteste être en train de promener mon chien » s’épaissit. Je sais pas qui ballade l’autre mais bon…

Quelle chance, le printemps arrive, le soleil brille quasi tous les jours, j’habite à la campagne où j’ai un grand jardin au bord du ruisseau ET j’ai retrouvé ma tête ! La crise sanitaire arrive alors que je sors de l’H.P. où j’ai été envoyée sous contrainte pour cause d’épisode psychotique aigue à base d’hallucinations oniriques. J’ai perdu un moment conscience de moi-même. Sur avis du médecin et du juge des libertés et de la détention, j’ai été assez vite relâchée.

Comme dirait Cognard Hanshi : « on est tous des handicapés », moi c’est ma « condition » (1) et mon statut social. Je fais parti des « assistés » qui perçoivent des prestations sociales pour bouffer. Je ne suis pas privé de mes deniers. J’ai l’habitude de ne pas faire, de ne pas courir.

D’astreinte de ballade donc « le nez en l’air et les cheveux au vent ».

J’ai aimé observer le printemps de près, la transformation magique de la nature. Faire toujours les mêmes tours et découvrir immanquablement des images nouvelles. Mon esprit s’échappe, je discute dans ma tête comme devant la télé, le doigt sur la zapette.

Je boycotte le plus souvent les infos anxiogènes et y’a plus radio bistrot mais j’entends quand même le désormais célèbre «  Nous sommes en guerre » de notre président de la république.

Guerre ; nom féminin, dans le Larousse les exemples vont de « conflit armé » à « de guerre lasse » en passant par  « fait de guerre, guerre de position, guerre éclair, privée, sainte, totale… Lois de guerre, homme de…, pied de… » Perso cela va de  « je suis une guerrière pacifiste » à : les balles fusent, les mortiers tombent en passant par l’injustice, la peur, la souffrance et la mort. En ces termes, avec l’épidémie, la guerre s’est rapprochée mais pas si près que lors de voyages pour mon travail dans une O.N.G , ou lors des récits de mes aïeuls !

Voyages. L’air de rien je suis bien vivante.

Je me revoie en Bosnie pendant la guerre, dévalant la montagne dans mon Lada après avoir resserré une roue, essayant de rattraper le convoi. La route virevolte comme dans le col de la Luère, au détour d’une courbe se dresse soudain face à moi un Tchetnik des temps modernes, la barbe drue, l’œil noir, la poitrine bardée de colliers de munitions. Nous nous fixons du regard. Il n’a pas tiré !? Est-ce grâce au drapeau blanc qui flotte au dessus de ma tête? Celui là même qui n’empêchera pas, quelques jours plus tard, un sniper de nous allumer à la Kalache !? Je ne saurai jamais. La guerre, des questions de vie ou de mort à chaque instant.

Bande de Gaza, Palestine. L’enfant bombant le torse me vise de son flingue en bois, j’ai déjà vu cet œil noir, il tire ! Je m’indigne en français, il me décoche le sourire qui tue…

Et je suis ici, baguenaudant sur mon chemin, je ne risque rien à part peut être de prendre un coup de soleil. Ah un peu d’agitation, Pome joue avec les veaux.

Drôle de guerre, la paix me gagne de jours en jours.

Addendum : partie d’un texte nommé « Désirs » trouvé dans une vieille église de Baltimore en 1692 dont l’auteur est inconnu… Je l’ai passé de  « vous » à « nous », c’est un peu ma prière, cela commence par : 

« Allons tranquillement parmi le vacarme et la hâte et souvenons nous de la paix qui peut exister dans le silence » …..

« De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la solitude. Au-delà d’une discipline saine, soyons doux avec nous-mêmes. Nous sommes des enfants de l’univers, pas moins que les arbres et les étoiles ; nous avons le droit d’être ici. Et qu’il nous soit clair ou non, l’univers se déroule sans doute comme il le devrait. Soyons en paix avec Dieu quelle que soit notre conception de lui, et quels que soient nos travaux et nos rêves, gardons dans le désarroi bruyant de la vie, la paix dans notre âme. Avec toutes ses perfidies, ses besognes fastidieuses et ses rêves brisés, le monde est portant beau. Prenons attention. Tachons d’être heureux.

  1. Dans le sens dépeint p.39 ; 40 ; livre de Liselotte Emery « L’Antichambre ou Mon greffon s’appelle Godot ; récit d’une attente aux éditions l’Harmattan . »